Combats et Métamorphoses d’une Femme
Édouard Louis – 2021
Parce qu’Édouard Louis fait exister les corps, les vies, l’espoir des combats féministes et queers des classes populaires, merci!
Missive écrite par Manon qui se définit (entre autres) comme femme lesbienne blanche cis valide. Relue par au moins un·e concerné·e. Vous pouvez consulter notre Charte Éditoriale.
Contexte
L’auteur Edouard Louis, dont les thèmes de prédilection sont habituellement l’homosexualité, les classes populaires et la vie rurale, ajoute à son arc dans ce nouveau roman la question de la condition féminine. Sorti au printemps 2021 dans un contexte où la littérature féministe bat son son plein, le livre est édité aux éditions du Seuil.
Qu’ai-je vu?
Edouard Louis s’applique à montrer par le récit comment la politique agit jusque dans les parties les plus intimes de nos vies. Après avoir écrit sur son père dans son livre Qui a tué mon père (Seuil, 2018), il prend cette fois sa mère en personnage principal. Il dissèque l’intrication indéfectible du sexisme et de la pauvreté, l’étouffement d’une femme entourée d’hommes infidèles ou alcooliques, ses combats quotidiens pour élever et éduquer ses cinq enfants. A la manière d’un anthropologue méticuleux, il documente la narration par des photographies sans fard tirées du réel. Il donne à voir les corps des personnages qui sont transformés par les lieux (de la campagne à la ville), les milieux (des classes populaires aux classes moyennes et bourgeoises) et les temporalités (de l’enfance à l’âge adulte de l’auteur) qu’ils traversent.
Deux relations jouent un rôle déterminant pour entreprendre la métamorphose de sa mère : d’abord une profonde amitié qu’elle lie avec une femme plus aisée. A ses côtés, elle se libère de son rôle de mère et d’épouse et revendique son droit de se maquiller, de se faire coiffer, de s’habiller “comme une femme”. En somme, le droit de prendre soin d’elle-même, droit dont la pauvreté et le soin des autres l’ont éloignée.
Ensuite, l’auteur montre comme la métamorphose de sa mère est inextricablement liée à la sienne. Tous deux partagent un combat contre l’oppression (elle le patriarcat, lui l’homophobie) et la pauvreté. Mais ielles partagent aussi la détermination de s’extirper de leur condition. Successivement ielles se soutiennent, s’humilient, se séparent, grandissent et se réparent. L’émancipation de l’un.e force celle de l’autre.
Pourquoi je remercie?
Je remercie l’auteur parce qu’à travers le récit intime de sa mère, il permet de comprendre que pour cette femme qui vient d’un milieu populaire, adopter les attributs de l’archétype féminin (comme dit plus haut, se maquiller, se faire coiffer, faire du shopping ect.) peut être constitutif de son émancipation.
Il donne alors à voir le combat d’une femme qui n’est pas consciemment politisé, qui ne se nomme pas mais qui est féministe.
Je remercie également l’auteur pour l’espoir qu’il insuffle à travers ce livre. Alors qu’il porte un regard sociologique sur le récit de sa mère en décrivant avec lucidité les effets du déterminisme social, Edouard Louis montre comment – et à coup d’immenses efforts – il peut être dépassé. En fermant le livre, je pense – sans vouloir mystifier le changement pour autant – : « alors c’était possible ».
Parce qu’Edouard Louis fait exister les corps, les vies, l’espoir des combats féministes et queers des classes populaires, merci !