Colt Express
Christophe Raimbault & Jordi Valbuena
Parce que les clichés sur les identités ne sont jamais anodins, alerte!
Missive écrite par Axel qui se définit (entre autres) comme homme blanc, cisgenre, valide, agnostique, banlieusard, gay. Relue par au moins un·e concerné·e. Vous pouvez consulter notre Charte Éditoriale.
Contexte
Colt Express est un jeu de société créé en 2014 par Christophe Raimbault et illustré par Jordi Valbuena. Il devient rapidement un grand succès commercial et reçoit de nombreux prix dont le sacro-saint As d’Or – Jeu de l’année en 2015 à Cannes. Depuis, de nombreuses extensions ont été publiées. Il est considéré aujourd’hui comme un classique des jeux grand public.
Qu’ai-je vu?
Six bandit·e·s attaquent un train qui transporte des objets de valeur. But du jeu: être cellui qui dérobe le plus d’argent tout en échappant au Marshal qui veille sur la marchandise. Les personnages sont représentés sur le plateau de jeu par un pion de couleur différente et évoluent dans (ou sur) un train, au gré des cartes jouées. Chacun·e possède également un pouvoir spécial qu’il faudra utiliser avec stratégie pour remporter la victoire.
Pourquoi j’alerte?
Jusque là, on se demande ce qui pourrait bien valoir une “Alerte!” à ce jeu dont la narration est assez classique. Et j’ai moi-même mis du temps à comprendre qu’il y avait un petit malaise dans le jeu. Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est l’extension Marshal et Prisonniers (2016) qui ajoute une septième bandite: Mei, l’acrobate chinoise. Avant, le pion jaune était réservé au Marshal. Mais désormais, la nouvelle règle du jeu nous demande d’attribuer définitivement le pion jaune à ce nouveau personnage. Le Marshal aura désormais un pion orange, fourni avec l’extension. Visiblement c’était très très important que le pion jaune soit réservé au personnage chinois.
J’ai alors réalisé que dans le jeu de base, le pion noir était pour le personnage noir de peau. Et ce sont les deux seuls personnages dont le pion est assigné à leur couleur de peau.
On pourrait m’opposer qu’il ne s’agit pas de leur couleur de peau mais de la couleur de leurs vêtements qui, en effet, correspond également: Mei porte un kimono jaune et Django un veston noir, et il en va de même pour tous les autres personnages. Mais le folklore continue: « Mei-la-chinoise » a évidemment, en plus de son tatouage de dragon, un nunchaku qu’elle utilise comme baguette pour tenir son chignon bien serré. Et le super pouvoir de Django-le-noir? Eh bien il a un très très gros calibre… Attention aux dégâts! Peut-être est-ce là aussi un hasard.
Mais le doute s’immisce encore un peu plus quand on réalise que le super pouvoir du personnage féminin “Belle” est sa séduction. Ainsi, lorsque c’est possible, elle peut éviter les coups de ses adversaires. Comme l’indique la règle du jeu “le charme de Belle est sa meilleure arme”. Un pouvoir bien connu des femmes fatales qui hantent les imaginaires masculins. Bien entendu, son pion est fushia.
Pris un par un, ces signaux semblent faibles. Mais additionnés les uns aux autres, ils posent question: pourquoi identifier certains personnages par leur couleur de peau ou leur attribuer des capacités ultra-genrées? Serait-ce impensable d’avoir un personnage masculin usant de la séduction? Ou un personnage féminin ou non blanc étant “le plus intelligent du groupe”?
Un dernier pour le voyage: sur la boite du jeu de base, les deux personnages féminins sont systématiquement en arrière-plan, derrière tous les autres hommes. Alors, pur hasard ou biais prononcé?