Final Fantasy 7
Square Enix
1997/2020
Parce que je suis heurtée par l’irréalisme du corps du personnage de Tifa, alerte!
Missive écrite par Houda qui se définit (entre autres) comme femme, cisgenre, hétérosexuelle. Relue par au moins un·e concerné·e. Vous pouvez consulter notre Charte Éditoriale.
Contexte
Final Fantasy est une référence du RPG (jeux vidéos/jeux de rôles) dont les différents épisodes connaissent un grand succès depuis la fin des années 80. Produit par le studio japonais Square Enix, le titre le plus marquant pour ma génération est Final Fantasy 7, sorti en 1997, dont un remake a été produit en 2020. Dans un univers de fantaisie, un jeune héros téméraire et doué retrouve son amie d’enfance: Tifa Lokhart.
Ce remake n’est pas une reproduction du jeu sorti en 1997, mais plutôt une variation du jeu, du gameplay et de son scénario, tout en respectant le même univers, avec les mêmes personnages, et les mêmes bases de l’histoire. Les avancées technologiques des 15 dernières années ont également permis d’améliorer la qualité graphique du jeu, rendant notamment les personnages beaucoup plus réalistes que lorsque nous jouions dans les années 90. Avant, la 3D était moins fluide avec des représentations plutôt cubiques et pixélisées des personnages.
Lorsque j’ai commencé à jouer au remake cet été 2021, j’étais vraiment enthousiaste de retrouver un univers qui a marqué mon enfance. J’étais même heureuse de pouvoir le considérer avec mon regard d’adulte, pour y trouver des lectures que je n’aurais potentiellement pas pu avoir à l’âge de 10 ans.
Qu’ai-je vu?
Lorsque le personnage de Tifa est apparu, j’ai été marquée par son corps : épaules, bras, jambes et taille très fine, avec des seins particulièrement grands par rapport au reste du corps. Spontanément, je me suis dit “waouh, qu’est-ce qu’elle est belle et bien foutue”. Ce qu’on ne cesse de nous rappeler par ailleurs tout au long du jeu. Par exemple, c’est pour cela qu’elle peut intégrer la demeure de Don Cornéo, un criminel qui ne laisse entrer que les belles femmes dans son palais: “C’est une très jolie fille. Elle est ce qu’il aime, le tout emballé dans un beau paquet”.
Un soir, après une partie, j’ai regardé mon corps dans un miroir : un petit bonnet B, un bassin “méditerrannéen”, un petit bidon malgré des heures de sport et une alimentation maîtrisée. Et j’ai repensé au personnage de Tifa, ce personnage particulièrement agile (la plus rapide de l’équipe) mais qui est aussi très forte, avec des points “forces” supérieurs à ceux du personnage principal. Seulement voilà: lui a des bras musclés, alors que Tifa, à côté, a des bras bien fins.
En y réfléchissant, je me suis même demandée si la taille de ses seins, par rapport au reste de son corps, n’auraient pas dû lui créer des problèmes de dos et de posture. Mais non, Tifa est un personnage imaginaire, elle se tient bien droit, et avec un corps merveilleusement proportionné, elle reste une combattante puissante.
Pourquoi j’alerte?
Ce qui me heurte, c’est l’image de cette espèce de corps féminin idéal, qui n’est ni réaliste, ni cohérent avec le personnage et ses capacités physiques.
Ce corps a généré des polémiques sur le net à la sortie du remake, mais pour des raisons différentes : des fans du jeu étaient mécontents que les seins de Tifa aient été réduits par rapport au design original…! Interrogés, les designers se justifient par la décision du comité éthique de Square Enix: réduire les seins permettaient de faciliter les animations lors des combats.
Cette réception du personnage de Tifa est en décalage total avec mon sentiment en tant que femme. Touchée par ce type de représentations pendant ma puberté, hantée face à des seins qui ne poussaient pas, face à un bassin qui s’élargissait, face à des cuisses qui prenaient du volume, face à mon ventre plat d’enfant qui prenait des rondeurs. J’ai été complexée par mon corps, parce que celui-ci ne correspondait pas à un pseudo idéal – qui n’était même pas celui des magazines et autres publicités souvent dénoncés – mais celui des personnages imaginaires de mes références culturelles : Disney, mangas, jeux vidéos, etc. Ces personnages créés de toute pièce qui, au lieu d’avoir une plastique réaliste, peignent un idéal qui n’est pas ou très difficilement atteignable. Un idéal corporel qui devient celui des jeunes filles en pleine construction de leur image de soi, avant même l’âge d’avoir une sexualité.
J’alerte car, dans un objectif de complaire à une certaine catégorie de la population en demande de femmes-objets (comme ces fans qui demandaient à retrouver les “gros” seins de Tifa, pour nourrir leurs fantasmes), dans le but commercial de vendre à une cible spécifique en usant et abusant du raccourci marketing qu’est le sexe, Tifa de FF7 pourrait impacter l’image des jeunes joueuses.
Une représentation qui m’impacte moi-même, à 34 ans, alors même que ma raison me permet de prendre du recul sur la situation et comprendre qu’il ne s’agit que d’une création.