Sex Education (Saison 3)
Laurie Nunn – Netflix
Parce que Sex Education imagine un lycée inclusif et tolérant, merci!
Missive écrite par Nicolas qui se définit (entre autres) comme un homme blanc gay et cisgenre. Relue par au moins un·e concerné·e. Vous pouvez consulter notre Charte Éditoriale.
Attention, cette missive contient des éléments d’information qui pourraient divulgâcher (spoiler!) tout ou partie de l’œuvre.
Contexte
Sex Education est une série anglaise créée en 2019 par Laurie Nunn, produite et diffusée par Netflix. Elle présente la vie et la scolarité des étudiant·es d’un lycée anglais dans lequel les préoccupations des élèves tournent essentiellement autour de la sexualité et des relations amoureuses. Un lycée plutôt commun, quoi. On y suit principalement l’histoire d’Otis (Asa Butterfield), fils unique de Jean Milburn (Gillian Anderson) qui est une psychologue et sexologue renommée. Otis se lie d’amitié avec Maeve (Emma Mackey) et ensemble, iels commencent à donner des séances de thérapie illicites afin d’aider les élèves de l’école à résoudre leurs problèmes et mettre des mots sur ce qu’iels vivent.
Dans la saison 3 de nombreuses intrigues se mêlent, principalement en lien avec l’arrivée de Hope (Jemima Kirke), nouvelle principale du lycée qui souhaite redonner de la rigueur et une orientation conservatrice de l’enseignement scolaire.
Qu’ai-je vu?
Si l’on sentait déjà dans les saisons 1 et 2 l’envie (ou peut-être le besoin) de la scénariste de proposer une série inclusive à bien des niveaux, la saison 3 choisit très clairement de pousser encore plus loin dans cette direction : l’intrigue s’éloigne des personnages d’Otis et Maeve pour s’attacher à plusieurs personnages « secondaires ». C’est sur cette troisième saison que je vais me concentrer uniquement ici.
Voici une liste assez exhaustive de ce que j’ai vu :
- Le personnage d’Aimee (Aimee Lou Wood) lutte pour retrouver une confiance dans son corps de femme après une agression sexuelle dans les transports publics.
- Le personnage d’Eric (Ncuti Gatwa), un jeune noir gay qui découvre à l’occasion d’un mariage dans sa famille au Nigéria (Episode 6) qu’il y a une vie LGTBQ dans ce pays contrairement à ce que sa mère lui raconte.
- Le personnage de Jean, femme d’une cinquantaine d’années, est enceinte et décide de garder le bébé. Ses diverses interactions, notamment avec le milieu médical, l’opposent à l’idée reçue qui voudrait qu’à son âge il est inconscient de choisir d’être mère… Mais elle ne se laisse pas faire, c’est le moins qu’on puisse dire!
- J’ai aussi noté une relation intéressante entre Jean et Maureen (Samantha Spiro), la mère d’un autre enfant du lycée. Après sa rupture avec son époux au cours de la série, elle se libère et prend le temps de se recentrer sur elle-même, de vivre sa vie et sa féminité comme elle l’entend sans dépendre d’un homme. La relation des deux femmes restent pourtant centrée sur leurs rapports aux hommes.
- Le personnage d’Isaac (George Robinson), jeune homme en chaise roulante avec qui Maeve a une (tout de même très brève) relation amoureuse. Dans l’épisode 4, Isaac et Maeve découvrent ensemble des formes de sexualité différentes pour pallier au fait qu’Isaac ne ressent rien en dessous des épaules.
- Les personnages de Cal Bowman (Dua Saleh) et Layla (Robyn Holdaway), qui luttent avec Hope dans la reconnaissance de leur non-binarité. On voit assez clairement que Cal vit sa non-binarité avec une maturité plus grande que Layla, et accompagne cette dernière dans une scène où elle cherche un moyen pour se bander correctement la poitrine (Episode 8). Cal lui montre des moyens plus simples et moins violents pour son corps.
Pourquoi je remercie?
En visionnant cette saison de Sex Education, j’ai vraiment eu le sentiment que la scénariste en faisait beaucoup, voire même un peu trop : en faisant son maximum pour faire apparaître des facettes inclusives dans sa série, et en essayant de donner une certaine profondeur à chacun des personnages, la série se perd parfois dans les trop nombreuses intrigues, et donne un peu l’impression de vouloir simplement cocher les cases de l’inclusivité sur le spectre le plus large possible.
Alors, pourquoi je remercie ? Eh bien parce que malgré tout, j’ai trouvé que chacun de ces personnages n’était pas que des « façades », mais permettaient d’interroger nos imaginaires et nos représentations. Tout n’est pas parfait dans la série, bien au contraire, mais je crois que l’effort mérite amplement d’être remercié, et ce notamment pour la raison que la série cherche à chaque instant à conserver une tonalité à la fois joyeuse et non-jugeante, pour déconstruire consciencieusement de nombreux préjugés ou stéréotypes.
En voici quelques exemples :
- Je trouve le personnage d’Eric extrêmement bien réussi à ce niveau : il assume très clairement sa sexualité auprès de sa famille et de ses ami·es, il se maquille sans tomber dans le stéréotype de la « féminisation » du gay dans les films et séries habituels. J’ai beaucoup aimé la scène où lui et son copain Adam essaient des positions sexuelles qui signifient clairement leurs envies d’être passif (se mettre à quatre pattes, par exemple). Adam est un personnage qui découvre à peine son homosexualité et qui a été dépeint dans la première saison comme un hétéro macho et plutôt idiot. On pourrait croire qu’il serait forcément « actif » sexuellement, mais non : il souhaite être passif, et quand Eric le comprend enfin, il lui exprime en quelques gestes, regards et sourires le fait que la posture sexuelle est quelque chose avec lequel on peut jouer au sein de nos relations sexuelles. C’est simple et intelligent, s’opposant aux représentations trop rigides des « actifs virils » et des « passifs féminins » dans la communauté des gays masculins.
- Le style vestimentaire d’Eric, extrêmement coloré et joyeux, est à bien des égards un hommage à ses racines nigériennes. D’ailleurs, dans l’épisode où il se trouve au Nigéria, j’ai eu peur qu’on me dépeigne un pays où l’homosexualité n’existe pas, et surtout où elle est forcément un danger. Quand un jeune nigérien lui propose de le conduire dans un club gay, ils prennent un taxi et le regard du conducteur nous laisse croire un instant qu’il va se faire agresser. Mais non, ils parviennent au club et Eric découvre un univers LGTBQI+, certes underground et qui suppose quelques précautions, mais pourtant bien là. N’étant jamais été au Nigeria, je ne saurais pas dire si la représentation de cette scène est complètement fictive ou non, mais j’ai aimé la possibilité d’imaginer cet univers détaché des représentations traditionnelles associant l’homosexualité à la peur et l’agression dans les pays d’Afrique.
- J’ai aussi adoré voir le personnage de Jean Milburn, enceinte, lutter avec tant de personnes (généralement des hommes blancs) pour faire reconnaître son droit à s’occuper de son corps et de sa grossesse comme elle l’entend. Elle rabat de manière assez jubilatoire le caquet de Jakob, le père, quand il essaie de la calmer face à un médecin gynécologue un peu trop intrusif. J’ai eu un peu peur, à la fin de la série, que les scénaristes la fassent mourir après l’accouchement, ce qui aurait été finalement une manière de donner raison à ce médecin plus tôt dans la série. Mais non, là encore, Jean s’en sort finalement et « tout est bien qui finit bien ».
C’est sûrement l’une des choses qui doit irriter certain·es : malgré toutes les intrigues amoureuses qui échouent sans arrêt pour ces pauvres petit·es adolescent·es, la série semble être une sorte d’utopie inclusive, un monde de bisounours où être différent ne veut rien dire, où la spécificité de chacun fait sa force. On sent qu’après 3 saisons, les lycéen·nes (ainsi que tous les personnages qui gravitent autour) ont atteint une maturité telle que la différence n’est plus un problème, elle n’est plus un sujet de conversation, de moquerie ou de quoi que ce soit : la non-binarité de de Cal, par exemple, ne pose aucune question en soi, si ce n’est à Hope qui ne peut la placer dans une case.
Je dois avouer que j’aime les histoires qui finissent bien, et j’ai aimé cette saison de Sex Education où ce ne sont pas sur les opprimés qu’on tape une énième fois. D’ailleurs, les personnages les plus ridicules de la série sont sûrement Michael, l’ancien proviseur, et son frère, tous les deux hommes blancs cisgenres. Quand sa femme le quitte, Michael se retrouve démuni et incapable de vivre par lui-même. C’est par la cuisine, attribut habituellement féminin dans les représentations et imaginaires cinématographiques, qu’il reprend pied dans la vie et retrouve une certaine sensibilité et humanité.
Alors oui, l’univers qu’on nous propose ici est un peu simpliste et la tolérance naturelle de chacun des personnages peut laisser songeur, mais je rêverais de voir un jour un lycée aussi inclusif. Et c’est aussi à ça que servent les fictions, vous ne pensez pas?