Herbes Folles

Rayess Bek Orchestra – 2010

Parce que Rayess Bek nous rappelle que les discours religieux manichéens sont souvent une manipulation politique, merci!

Missive écrite par Axel qui se définit (entre autres) comme un homme blanc, cisgenre, valide, agnostique, banlieusard, gay. Relue par au moins un·e concerné·e. Pour comprendre notre ligne éditoriale et nos engagements, vous pouvez consulter notre Manifeste et notre Charte Éditoriale.

Contexte 

Herbes Folles est une chanson de rap poétique écrite par Rayess Bek (Wael Kodeih, de son vrai nom) et interprétée avec son orchestre et E. Gilly, dans l’album L’Homme de Gauche / Khartech Aa Zaman (2010). Libanais vivant en France, il est parfois considéré comme l’un des précurseurs du “hip-hop arabe” avec Tamer Naffar (en Palestine) et le groupe MBS (en Algérie). Dans ses textes engagés il parle du monde tel qu’il s’impose à lui, souvent dans la violence, à mi-chemin entre fractures sociétales et blessures intimes. 

Qu’ai-je vu? 

Herbes Folles est un rap d’amour envers et contre tout, et surtout contre les manipulations politiques qui se dissimulent parfois dans les discours religieux. Face aux guerres communautaires, aux intérêts des puissants et aux armes sanglantes, un couple amoureux égraine baisers, caresses et espoirs. 

“Et à chaque fois que tu me dirais j’t’aime, un soldat disparaîtrait d’Irak”

Tout comme de fines racines qui s’infiltrent et finissent par briser le béton armé, leur amour met en évidence l’absurdité des violences identitaires que chacun subit et fait subir:

“Les gens acceptent de voir du sang mais pas d’bisous dans la rue”

Le chanteur voit plus loin. Au-delà de la responsabilité des individus ayant des comportements agressifs, il dénonce certains systèmes politico-religieux qui se sont formés pour asservir les pensées et normaliser la brutalité.

“On s’est tellement dit je t’aime, qu’on a fait chuter l’gouvernement”

Pourquoi je remercie?

Herbes Folles est un plaidoyer pour l’empathie, l’amour, le respect et la liberté dans un monde où certains corps politiques instrumentalisent la spiritualité pour diviser et mieux régner. Le “rap conscient” de Rayess Bek résonne tellement bien avec la réalité géopolitique du “Moyen-Orient”, mais aussi de l’ ”Occident”, qu’on a comme l’impression qu’il se positionne entre fiction lyrique et journalisme de terrain. 

Cette dénonciation ne s’attaque pas au fait religieux en tant que tel, mais plutôt à sa politisation à outrance et à ses dérives de pouvoir. Certes, il a grandi dans une famille laïque, mais il ne fait pas non plus de la laïcité un outil de rejet. Par exemple, dans Musulman, du même album, il pointe du doigt les clichés racistes et anti-musulmans* qui foisonnent dans les discours, notamment en France. 

Pour autant, le rappeur ne parlera jamais de “tolérance”. En mai 2010, il déclare dans une interview au Daily Star Lebanon: “La tolérance, ce n’est pas assez. En fait, je déteste ce mot. Si je tolère quelqu’un, cela crée une sorte de hiérarchie. On a plutôt besoin d’acceptation et de compréhension”. A notre plus grand bonheur, il persiste et signe, un an après en juin 2011 dans une interview pour Mashallah: “Ce qui m’insupporte le plus c’est le manque de droits de l’Homme et de droits des Femmes”. 

Pour moi, Herbes Folles et son humanisme* éclairé, sa poésie sans concession et son lyrisme en acier trempé illustrent bien ce propos:

“Et quand il pleuvait des bombes nous on plantait des fleurs
A tel point qu’ils ont eu honte de vouloir cultiver nos peurs
On a prouvé que les mélanges ne sont pas toujours explosifs
Une vieille recette à nous mon amour : musulmans, chrétiens, juifs
Les hommes de foi indignés lançaient des discours manichéens
Mais nous on buvait la Méditerranée ; tous les deux, nous n’étions qu’un”

Ce morceau est pour moi comme un phare d’amour dans la tempête. Et pour cela, un grand merci.

Vous pouvez écouter gratuitement la chanson sur le SoundCloud de l’artiste ou sur YouTube

* : voir notre Lexique

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Axel
Axel se définit (entre autres) comme un homme blanc, cisgenre, valide, agnostique, banlieusard, gay. Il est fondateur et co-administrateur de La Vigie des Imaginaires. Il a étudié la littérature et le théâtre. Il est fan de jeux de société. Il ne croit pas en Dieu, mais il espère vraiment qu'elle croit en lui. Enfin, il pense que les pessimistes finissent toujours par avoir raison, mais qu'en attendant, mieux vaut rester optimiste.
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